11
Chemins divergents

 

 

— Un coup de pouce magique nous aurait fait aller plus vite, nota Catti-Brie. (Ce n’était pas la première fois qu’elle taquinait gentiment Drizzt sur son refus de la proposition de Val-Doussen.) On serait même déjà de retour, pour sûr, Wulfgar avec nous !

— Décidément, je crois chaque jour davantage entendre un nain, contra Drizzt en tisonnant d’un bâton le feu où cuisait un savoureux ragoût. Tu pourras t’inquiéter quand tu remarqueras chez toi une crainte des grands espaces, comme par exemple la route où nous voyageons en ce moment…

» Mais, attends ! s’écria le drow d’un ton sarcastique, comme si le fait venait de lui frapper l’esprit. Ne viens-tu pas d’exprimer précisément cette crainte ?

— Ben voyons, agite la langue, Drizzt Do’Urden, protesta Catti-Brie à mi-voix. Tu fais le fier avec tes lames tournoyantes, mais qu’est-ce que tu pourras contre une bonne volée de flèches ?

— J’ai pris soin de couper la corde de ton arc, répliqua tranquillement l’elfe noir.

Il se pencha en avant, goûta le plat bouillant.

Catti-Brie se surprit à jeter un coup d’œil à Taulmaril qu’elle avait débandé avant de l’appuyer contre le tronc de l’arbre tombé où elle s’était assise. Elle appliqua sur son visage un sourire dédaigneux avant de se tourner vers son plaisantin d’ami.

— Je me disais juste qu’on avait peut-être raté l’Esprit follet de la mer, s’il a pris le large pour la dernière course de la saison, remarqua-t-elle, et cette fois avec sérieux.

On ne pouvait nier que le vent se soit fait mordant ces derniers jours : l’automne serait vite passé. C’était l’époque de l’année où Deudermont avait pour habitude de prendre la mer au large d’Eauprofonde pour deux dizaines avant de filer au sud vers des climats plus chauds, où les pirates se montraient également plus actifs.

Drizzt le savait, cela se vit clairement à l’expression songeuse qui passa sur ses traits bien dessinés. Cette possibilité l’avait en effet troublé depuis que son amie et lui avaient quitté la Tour des Arcanes, au point de se demander si son refus de l’offre de Val-Doussen n’avait pas été égoïste.

— Tout ce que voulait cet imbécile, c’étaient quelques parlotes, reprit Catti-Brie. Avec un peu de ton temps, tu l’aurais satisfait, nous aurions gagné une dizaine de marches… et va pas dire que j’ai peur de faire de la route, tu sais que c’est pas vrai ! Je suis nulle part aussi bien qu’en chemin près de toi, mais on doit penser aux autres. Ce sera mieux pour Bruenor et aussi pour Wulfgar si on le retrouve, celui-là, avant qu’il ait trop d’ennuis.

Drizzt voulut répondre que leur compagnon, s’il naviguait bien avec Deudermont et l’équipage de l’Esprit follet de la mer, était en d’excellentes mains, avec des alliés largement aussi puissants que les Compagnons du Castel. Mais il tint sa langue pour bien réfléchir à ce que lui disait la jeune femme, pour écouter son message au lieu de réagir de manière épidermique.

Elle n’avait pas tort : il valait mieux pour Wulfgar, comme pour eux tous, qu’ils soient enfin réunis. Peut-être aurait-il pu consacrer quelques heures à Val-Doussen…

— Allons, explique-moi pourquoi t’as pas voulu, insista gentiment Catti-Brie. Grâce à toi, on aurait pu se retrouver à Eauprofonde en un clin d’œil de sorcier, et je suis sûre que tu penses que ç’aurait été une bonne chose. Pourtant t’as pas voulu. Pourquoi ?

— Val-Doussen n’a rien d’un érudit.

La jeune femme se pencha, prit la cuiller des mains de Drizzt, la trempa dans le ragoût, puis, après avoir écarté de sa figure ses longs cheveux auburn, en prit à son tour une bouchée. Tout ce temps, elle ne quitta pas le drow des yeux, l’interrogeant du regard. Il devait préciser sa pensée.

— L’intérêt qu’il porte à Menzoberranzan vient de sa cupidité, rien d’autre, expliqua Drizzt. Il ne cherche pas à améliorer les choses, mais il espérait en l’occurrence obtenir de moi une information qu’il pourrait exploiter à son avantage. (Catti-Brie ne le lâchait pas, son expression indiquait qu’elle ne suivait pas le raisonnement de son ami. À supposer qu’il ait raison, en quoi le sort de ses congénères si maléfiques pouvait-il l’inquiéter ?) Il comptait sur moi pour lui donner des renseignements privilégiés sur les drows, poursuivit l’elfe noir sans se laisser troubler par l’incompréhension de la jeune femme.

— Mais même dans ce cas, tout ce que je sais de Menzoberranzan indique que ces renseignements auraient pu nuire seulement à Val-Doussen s’il avait voulu les utiliser ! répliqua Catti-Brie en toute sincérité.

Elle avait visité la cité drow et connaissait fort bien le pouvoir immense attaché à l’endroit.

Drizzt haussa les épaules, tendit la main vers la cuiller. La jeune femme, souriant largement, maintint l’objet hors de sa portée.

L’elfe noir reprit son attitude songeuse. Lui ne souriait pas, il se concentrait pour bien faire saisir son point de vue.

— Le sorcier voulait retirer un profit personnel de mes récits, les utiliser pour ses raisons égoïstes, aux dépens de ceux que mes informations lui auraient livrés. Qu’il s’agisse de mes congénères à Menzoberranzan ou de ceux de Bruenor à Castelmithral, j’aurais commis un même forfait en m’exécutant.

— Tu vas pas comparer le clan Marteaudeguerre à…

— Pas du tout. Je te parle là de mes principes. Si Val-Doussen avait voulu obtenir des renseignements sur un groupe de gobelins pour le frapper d’une attaque préventive, je les lui aurais volontiers fournis, parce qu’un tel groupe, j’en suis persuadé, s’emploierait très vite à semer le malheur autour de lui.

— Les tiens sont bien venus à l’assaut de Castelmithral ! rappela Catti-Brie, suivant le raisonnement.

— Une fois, c’est vrai. Mais, pour autant que je sache, ils ne sont pas en chemin vers la surface pour la dévaster et la piller.

— Pour autant que tu saches.

— Et puis, de toute manière, rien de ce que j’aurais pu révéler à Val-Doussen n’aurait empêché un raid quelconque des elfes noirs. (Drizzt mettait en lumière un nouvel aspect du problème pour éviter l’inconséquence logique que pointait son amie.) Non, sans doute ce pauvre idiot se serait-il rendu à Menzoberranzan, seul ou avec d’autres, pour se livrer à un vol d’envergure ! Auquel cas, selon toute vraisemblance, il n’aurait fait que pousser les drows à vouloir se venger par la violence.

Catti-Brie s’apprêtait à poser une autre question, mais elle se tut, considéra son ami. Finalement, elle hocha la tête et déclara :

— Tu fais bien des suppositions… (Drizzt ne marqua aucun désaccord, ni en mots ni en gestes.) Mais je comprends : tu refuses de te compromettre avec ceux dont les intentions sont pas nettes.

— Tu peux l’admettre ? (La jeune femme accorda au drow un hochement de tête.) Donne-moi la cuiller, alors, exigea Drizzt. Je meurs de faim !

Catti-Brie se pencha, trempa l’ustensile dans la marmite, le souleva vers les lèvres de son compagnon. Au dernier moment, celui-ci ferma les paupières à cause de la vapeur montant du plat, et elle porta le bon morceau à sa propre bouche.

L’elfe noir, surpris, agacé, ouvrit soudain les yeux, pour se retrouver complètement désarmé devant le regard joueur, taquin, de son amie. Il bondit soudain en avant, fit tomber la jeune femme de son siège, se mit à lutter contre elle pour avoir la cuiller.

Ni l’un ni l’autre n’auraient pu nier qu’ils se trouvaient mieux ici que n’importe où ailleurs !

 

* * *

 

Les parois enserraient le petit groupe de voyageurs, falaises abruptes d’un sombre gris-brun ou arpents escarpés d’herbe verte. Quelques arbres, parfois, les agrémentaient, de pauvres choses rabougries, peu stables, mal enracinées dans le terrain rocheux.

Même si l’endroit était idéal pour une embûche – Le’lorinel l’avait bien remarqué –, aucun des cinq marcheurs ne s’inquiétait de cette possibilité : Sheila Kree et ses ruffians tenaient tout le territoire. L’elfe avait surpris le chef de la troupe, la femme brune dénommée Genny, en train d’adresser des signaux discrets aux pics alentour. De toute évidence, on avait posté là des sentinelles.

Mais il n’y aurait pas de cris de ralliement, puisque aucun n’avait la moindre chance de se faire entendre au-delà de quelques dizaines de mètres. La chanson de la rivière qui avait creusé cette gorge, désormais souterraine, résonnait derrière la paroi à la gauche des voyageurs qui faisaient route vers le sud. Droit devant, plus loin, l’océan tonnait contre la côte rocheuse. Derrière, le vent soufflait, sifflant aux oreilles (c’était par ce col que la bise glacée donnant son nom au val fuyait la toundra).

Le’lorinel se trouvait étonnamment à l’aise en ce lieu pourtant inhospitalier – désolé –, se sentait enfin libre loin de l’agitation d’une société qui n’avait jamais éveillé son intérêt. Peut-être sa relation avec Sheila Kree pourrait-elle se prolonger, après tout, peut-être que, une fois l’affaire Drizzt Do’Urden heureusement conclue, il serait possible de jouer dans cette même gorge la sentinelle au service des pirates…

Bien sûr, tout cela dépendait de sa survie après son affrontement contre le drow, laquelle paraissait franchement peu probable tant que Genny conservait l’anneau enchanté !

Sans cette bague, était-il même envisageable d’oser combattre Drizzt ?

Un frisson parcourut l’échine de Le’lorinel, provoqué par ses réflexions et non par le vent froid.

Le groupe passa devant plusieurs ouvertures de taille réduite, issues de ventilation naturelle pour ce système de grottes tenant lieu de place forte à Sheila Kree, situé dans le monticule de cent mètres de haut s’élevant sur la gauche. Ces excavations étaient désormais situées au-dessus du niveau de la rivière. Au détour d’un dernier virage, les marcheurs arrivèrent à une grande alcôve qui menait à une entrée de caverne encore plus importante. La même rivière avait creusé toutes ces cavités dans le calcaire.

Trois gardes se dissimulaient dans l’ombre parmi d’énormes projections rocheuses surgissant du mur à droite en entrant ; ils mangeaient du mouton quasi cru dont ils jetaient n’importe où les os, leurs armes massives à portée de main. Ils ressemblaient aux trois brutes qui avaient accompagné l’humaine et l’elfe jusqu’ici : des monstres bâtards d’humain et d’ogre, tenant plutôt de l’ogre.

Ils bronchèrent à l’approche de la petite troupe, mais sans avoir l’air de s’inquiéter. Les sentinelles le long de la gorge les avaient certainement avertis de la venue des nouveaux arrivants.

— Où est la patronne ? demanda Genny.

— Chogurugga chez elle, grommela un soldat.

— Pas Chogurugga, non, je parle de Sheila Kree. La vraie patronne.

Les expressions fort contrariées des demi-ogres à ces mots n’échappèrent pas à Le’lorinel. Il devait exister un délicat équilibre des pouvoirs entre les pirates et les ogres !

Un garde grogna, montrant d’impressionnantes dents jaunes, puis indiqua le fond de la caverne.

Les trois brutes qui avaient voyagé avec l’humaine et l’elfe depuis Luskan prirent des torches et les enflammèrent. La troupe avança au milieu de formations naturelles très impressionnantes. Le’lorinel crut d’abord qu’ils étaient entourés d’eau courante cascadant contre les parois des tunnels en gracieuses cataractes… à y regarder de plus près, il s’avérait que les belles courbes amples n’étaient pas liquides mais solides : la rivière avait laissé derrière elle ces sculptures calcaires que chaque pluie, s’infiltrant dans la terre pour goutter sur la roche, rendait humides et glissantes.

De grands tunnels se branchaient sur la voie principale, dont beaucoup escaladaient le mont en chemins tortueux, et d’autres, à niveau, formaient d’énormes cavités semées de gros rocs. L’elfe, qui avait l’habitude de la vie à la surface, y voyait d’innombrables images ! D’animaux, d’armes, d’amants enlacés, de vastes forêts… de tout ce que l’esprit pouvait concevoir. Le’lorinel était une créature des bois, de la lune, qui n’avait jamais auparavant mis le pied sous terre. Pour la toute première fois, il lui était donné de se faire une idée de ce que connaissaient les nains, les halfelins, les gnomes, enfin toutes les espèces ayant choisi le monde souterrain au lieu des étendues à ciel ouvert.

Mais non, pas toutes les espèces ! se rappela très vite l’elfe.

Pas les drows en tout cas, ces démons à peau ébène qui hantaient les cavernes obscures. Oui, la beauté existait en ce lieu… mais il fallait des torches pour l’apprécier !

Le groupe avançait presque sans aucun bruit à part le crépitement desdites torches, car le sol d’argile était lisse et doux. Tous descendirent un bon moment le long de la cavité principale, le lit que s’était creusé la rivière en des ères éloignées, et passèrent plusieurs postes de garde surveillés le plus souvent par des demi-ogres, une fois par des ogres véritables, une autre fois par des hommes – des pirates, à en juger par leurs vêtements et leurs occupations.

Le’lorinel ne faisait pas très attention au trajet, la réunion à venir occupait par trop son esprit. La requête bientôt présentée à Sheila Kree revêtait une importance primordiale ! L’appui de ce pirate pourrait l’aider à parvenir au bout de cette longue route qui lui avait déchiré le cœur. Si Kree ne se laissait pas convaincre, elle tuerait sans doute l’individu aux requêtes impudentes pour en faire jeter le corps dans un couloir peu fréquenté !

Pis encore – du moins pour l’elfe –, dans ce cas de figure Drizzt Do’Urden resterait à coup sûr en vie.

Soudain, Genny tourna dans un passage étroit débouchant sur le côté. Le’lorinel et elle durent se mettre à quatre pattes pour continuer à avancer, car il fallait passer sous un surplomb de roche dure. Leurs trois énormes compagnons durent carrément ramper sur le ventre. De l’autre côté, une immense caverne offrait un spectacle saisissant, s’élargissant sur la gauche et présentant un très haut plafond semé de stalactites.

La femme pirate ne prêta aucune attention à cette autre merveille de la nature, mais elle se dirigea droit vers un trou dans le sol, où on avait disposé une échelle le long de la paroi. Elle descendit, suivie par un garde, puis Le’lorinel, puis les deux autres demi-ogres.

Beaucoup plus bas, à environ une centaine de mètres, un nouveau couloir les mena à une nouvelle cavité, monstrueuse, donnant par une grande issue sur la baie rocheuse au sud-ouest, et l’océan au-delà. De l’eau débouchait dans la salle par de nombreuses ouvertures dans les murs et le plafond ; la rivière rejoignait la mer.

Et là, la Quille ensanglantée, amarrée au mur ouest, grouillait de marins en train de réparer sa coque et son gréement.

— Maintenant que tu sais cela, tu peux prier le dieu qui te chante pour que Sheila Kree t’accepte, chuchota Genny à Le’lorinel. On sort d’ici en membre de la bande ou en cadavre.

La vision de l’équipage de ruffians sans pitié affairés sur le navire ne permettait guère de douter de la véracité de cette déclaration !

Genny mena ensuite le groupe à une autre issue qui, de l’arrière de la grotte, montait avec force virages à l’intérieur de la montagne. Ce couloir sentait la fumée ; des torches fixes l’éclairaient, aussi les gardes éteignirent-ils les leurs. Ils allèrent de plus en plus haut, passèrent des salles d’entreposage, des quartiers pour l’équipage, une zone que Le’lorinel estima réservée aux pirates, une autre, à l’odeur putride, qui abritait le clan ogre.

Force regards affamés suivirent la progression de l’elfe quand le groupe approcha de ces derniers, créatures toujours affamées, dont aucune pourtant ne se risqua à seulement toucher cette étonnante apparition. Ils devaient vraiment éprouver un respect démesuré envers Kree pour ne causer aucun problème ! Le’lorinel connaissait suffisamment les ogres pour les savoir d’ordinaire très indisciplinés, toujours prêts à déjeuner de toute espèce humanoïde plus petite qu’eux.

Ils arrivèrent peu de temps après aux niveaux les plus élevés du système de cavernes dans la montagne, et s’arrêtèrent au milieu d’un couloir où donnaient plusieurs portes. Genny fit signe aux autres de l’attendre, se rendit à l’huis central, y frappa, disparut dans la pièce. Elle revint très vite.

— Viens, ordonna-t-elle à l’elfe. (Quand les trois gardes monstrueux firent mine de suivre, Genny leva la main pour les arrêter.) Allez donc vous chercher à manger, ordonna-t-elle aux demi-ogres.

Le’lorinel observa avec curiosité le départ de l’escorte ; cela signifiait-il que Sheila Kree croyait Genny sur parole, ou bien qu’elle se sentait trop sûre d’elle, trop bien protégée, pour s’inquiéter d’une éventuelle erreur de celle-ci ?

La seconde hypothèse paraissait plus probable.

La femme pirate ne portait qu’un pantalon corsaire léger et une chemise sans manches de fine étoffe. Debout au milieu de piles de chaudes fourrures, elle observait par la fenêtre les eaux agitées en dessous. Elle se tourna quand Genny introduisit Le’lorinel, un grand sourire sur son visage semé de taches de rousseur. Ses yeux verts brillaient sous la couronne de ses cheveux roux superbement coiffés.

— Ainsi, l’elfe, tu craindrais pour ma vie ? commença-t-elle. Ton intérêt me touche ! (Le’lorinel la considéra avec curiosité.) Genny m’dit qu’tu veux me mettre en garde contre un certain drow.

— J’ai l’intention d’abattre ce drow, rectifia Le’lorinel. Que cette action te soit bénéfique constitue simplement une heureuse coïncidence…

Sheila Kree, laissant échapper un gros rire, vint se placer devant Le’lorinel qu’elle dominait nettement de taille. Ses yeux parcoururent de bas en haut le corps mince – délicat – de l’individu près d’elle.

— Heureuse pour toi ou pour moi ? demanda-t-elle.

— Pour nous deux, je dirais.

— Tu dois haïr l’drow, et pas qu’un peu, pour avoir fait la route jusqu’ici.

— Plus que tu pourrais imaginer.

— J’peux savoir pourquoi ? interrogea le pirate.

— C’est une longue histoire…

— Eh ben, avec l’hiver qui approche à grands pas et la Quille ensanglantée au mouillage, j’crois que j’ai l’temps ! estima Sheila Kree dans un autre rire.

Elle désigna une des piles de fourrures, indiquant à l’elfe de la rejoindre.

Les pirates et Le’lorinel discutèrent tout l’après-midi, l’elfe donnant une relation sincère mais biaisée des nombreux errements de Drizzt Do’Urden. Sheila Kree écouta avec attention, ainsi que Genny et qu’une troisième femme, Bellany, entrée dans la salle peu de temps après le début du récit. Les trois auditrices paraissaient intéressées, diverties, et leur boute-en-train prenait de plus en plus confiance.

À la fin des histoires, Bellany et Genny applaudirent, peu de temps, avant de s’arrêter et de regarder Sheila pour voir ce qu’elle en pensait.

— Un conte amusant, décida le chef pirate, et j’pense que j’te crois. Mais tu comprendras qu’on va d’voir vérifier pas mal de choses avant de t’laisser circuler librement…

— Bien sûr ! admit Le’lorinel en s’inclinant.

— Tu nous donnes tes armes, on va t’installer dans une chambre, poursuivit Sheila. J’ai pas de travail à t’confier pour l’instant, alors repose-toi d’cette longue route.

Le pirate tendit la main.

L’elfe n’eut pas à réfléchir longtemps : Kree et ses associées, toutes redoutables (surtout celle dénommée Bellany, qui avait tout l’air d’une sorcière, une jeteuse de sorts), rendaient à peu près inutiles les armes à sa disposition, et leur reddition purement symbolique. Il n’y avait pas de problème à les remettre à la féroce Sheila, avec en prime un sourire.

 

* * *

 

— Je suppose que tu trouves cela drôle, remarqua Drizzt, contrarié, la respiration un peu sifflante parce qu’il avait du mal à reprendre son souffle.

Il était allongé face contre terre dans la poussière, trois cents kilos de panthère sur le dos. Il avait invoqué Guenhwyvar pour qu’elle leur rapporte un peu de gibier pendant que Catti-Brie et lui s’amuseraient à faire semblant de se battre pour le ragoût, mais la jeune femme avait murmuré quelque chose à l’oreille de la panthère qui, par solidarité féminine, n’avait pas hésité à jeter Drizzt à terre.

Quelques mètres plus loin, Catti-Brie se régalait du plat fumant.

— Le fait est, t’es plutôt amusant comme ça, reconnut-elle entre deux bouchées. (Le drow se déplaça, faillit se dégager ; mais Guenhwyvar posa sa grosse patte sur son épaule, en fit surgir de longues griffes et le maintint.) Si tu continues à te débattre, Guen va faire un bon repas avec toi…

Les yeux lavande de Drizzt se plissèrent.

— Tu ne crois quand même pas que l’affront restera impuni, fit-il avec le plus grand calme.

La jeune femme gloussa, puis s’approcha à genoux de son ami. Elle leva la cuiller pleine de savoureuse sauce, souffla gentiment dessus, la tendit dans un mouvement lent vers Drizzt ! La gorgée tentatrice avait presque atteint les lèvres de l’elfe noir lorsque Catti-Brie écarta soudain l’ustensile pour le faire disparaître dans sa bouche.

Mais son sourire triomphant s’effaça quand elle vit s’évanouir Guenhwyvar dans une brume grise. Le fauve partit à contrecœur… il ne pouvait désobéir aux ordres de son maître.

Catti-Brie fila dans les bois, le drow à sa poursuite.

Un peu plus loin, il fut assez près pour la plaquer au sol d’un bond avant de la coincer sous lui grâce à sa merveilleuse agilité jointe à une force étonnante. La lueur du feu de camp s’était perdue derrière arbres et broussailles, seules les étoiles et une lune timide éclairaient le beau visage de la jeune femme.

— C’est ça, ta « punition » ? railla gentiment Catti-Brie.

Son ami, à cheval sur elle, lui maintenait les bras par terre au-dessus de la tête.

— Attends un peu la suite ! promit Drizzt. (Elle rit un peu, mais s’arrêta net, le regard soudain sérieux et même un peu inquiet.) Qu’y a-t-il ?

Il lui lâcha les bras.

— Avec un peu de chance, estima Catti-Brie, on va trouver Wulfgar.

— C’est ce qu’on peut espérer, oui.

— Quels sont tes sentiments à ce sujet ? demanda carrément la jeune femme.

Drizzt se redressa, lui jetant un regard appuyé.

— Quoi ? Quels pourraient-ils être ? fit-il.

— Es-tu jaloux ? As-tu peur que le retour de Wulfgar, s’il revient avec nous, change dans ta vie des choses que tu voudrais pas voir changer ?

Drizzt, dépassé, eut un petit gloussement. Catti-Brie ne cessait jamais de l’étonner par son honnêteté ; elle était si directe ! Inutile de le nier : un sentiment croissait et embellissait entre eux, qui attendait son heure depuis très longtemps et pourtant l’émerveillait, le surprenait… La jeune femme, autrefois, avait aimé Wulfgar, lui avait même été fiancée avant que le barbare soit emporté par le yochlol à Castelmithral et présumé mort. Que se passerait-il à présent si leur compagnon leur revenait, non celui qui les avait fuis, celui qui avait osé frapper la jeune femme, mais l’homme qu’ils avaient tous connu, qui avait su prendre le cœur de l’héroïne ?

— Espéré-je que le retour de Wulfgar ne relâchera d’aucune manière les liens tissés entre nous ? s’interrogea le drow. Bien sûr ! Cela dit, espéré-je que notre ami nous revienne ? Bien sûr… Et je prie pour qu’il ait trouvé son chemin hors des Abysses, qu’il soit redevenu celui que nous connaissions et appréciions. (Catti-Brie, en silence, chercha une position plus confortable ; son regard intéressé invitait Drizzt à développer son propos. L’elfe noir haussa les épaules.) Je refuse de laisser la jalousie gâcher ma vie, surtout en ce qui concerne des amis si chers à mon cœur. Je ne souhaite pas moins que toi revoir Wulfgar ! J’éprouverai un profond bonheur si le barbare fier et noble auprès de qui j’ai vécu tant d’aventures fait de nouveau partie de mon existence.

» Pour ce qui est de l’amitié entre toi et moi, la manière dont elle pourrait évoluer…, poursuivit Drizzt d’une voix douce, mais assurée. (Cette même assurance, cette rectitude intérieure qui lui avait permis de quitter la cité perverse de Menzoberranzan et de traverser tant d’aventures difficiles, de choix déchirants ; il eut un sourire triste, un nouveau haussement d’épaules.)… Je m’efforce de demeurer honnête avec toi, de bonne foi, j’espère rester ton cher ami et souhaite que les choses tournent au mieux. Tu connais ce drow qui se tient devant toi, et le retour de Wulfgar ne changera pas ce qu’il est. Si dans ton cœur, dans le mien, un sentiment plus profond encore grandit, nous agirons en conséquence. Sinon…

L’elfe noir s’arrêta. Son visage exprimait une résignation souriante.

— Et voilà, tu blablates encore ! commenta Catti-Brie. Tais-toi, idiot, embrasse-moi…

La Mer des Épées
titlepage.xhtml
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-13]La Mer des epees(Sea of Swords)(2001).French.ebook.AlexandriZ_split_000.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-13]La Mer des epees(Sea of Swords)(2001).French.ebook.AlexandriZ_split_001.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-13]La Mer des epees(Sea of Swords)(2001).French.ebook.AlexandriZ_split_002.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-13]La Mer des epees(Sea of Swords)(2001).French.ebook.AlexandriZ_split_003.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-13]La Mer des epees(Sea of Swords)(2001).French.ebook.AlexandriZ_split_004.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-13]La Mer des epees(Sea of Swords)(2001).French.ebook.AlexandriZ_split_005.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-13]La Mer des epees(Sea of Swords)(2001).French.ebook.AlexandriZ_split_006.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-13]La Mer des epees(Sea of Swords)(2001).French.ebook.AlexandriZ_split_007.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-13]La Mer des epees(Sea of Swords)(2001).French.ebook.AlexandriZ_split_008.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-13]La Mer des epees(Sea of Swords)(2001).French.ebook.AlexandriZ_split_009.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-13]La Mer des epees(Sea of Swords)(2001).French.ebook.AlexandriZ_split_010.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-13]La Mer des epees(Sea of Swords)(2001).French.ebook.AlexandriZ_split_011.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-13]La Mer des epees(Sea of Swords)(2001).French.ebook.AlexandriZ_split_012.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-13]La Mer des epees(Sea of Swords)(2001).French.ebook.AlexandriZ_split_013.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-13]La Mer des epees(Sea of Swords)(2001).French.ebook.AlexandriZ_split_014.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-13]La Mer des epees(Sea of Swords)(2001).French.ebook.AlexandriZ_split_015.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-13]La Mer des epees(Sea of Swords)(2001).French.ebook.AlexandriZ_split_016.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-13]La Mer des epees(Sea of Swords)(2001).French.ebook.AlexandriZ_split_017.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-13]La Mer des epees(Sea of Swords)(2001).French.ebook.AlexandriZ_split_018.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-13]La Mer des epees(Sea of Swords)(2001).French.ebook.AlexandriZ_split_019.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-13]La Mer des epees(Sea of Swords)(2001).French.ebook.AlexandriZ_split_020.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-13]La Mer des epees(Sea of Swords)(2001).French.ebook.AlexandriZ_split_021.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-13]La Mer des epees(Sea of Swords)(2001).French.ebook.AlexandriZ_split_022.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-13]La Mer des epees(Sea of Swords)(2001).French.ebook.AlexandriZ_split_023.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-13]La Mer des epees(Sea of Swords)(2001).French.ebook.AlexandriZ_split_024.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-13]La Mer des epees(Sea of Swords)(2001).French.ebook.AlexandriZ_split_025.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-13]La Mer des epees(Sea of Swords)(2001).French.ebook.AlexandriZ_split_026.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-13]La Mer des epees(Sea of Swords)(2001).French.ebook.AlexandriZ_split_027.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-13]La Mer des epees(Sea of Swords)(2001).French.ebook.AlexandriZ_split_028.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-13]La Mer des epees(Sea of Swords)(2001).French.ebook.AlexandriZ_split_029.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-13]La Mer des epees(Sea of Swords)(2001).French.ebook.AlexandriZ_split_030.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-13]La Mer des epees(Sea of Swords)(2001).French.ebook.AlexandriZ_split_031.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-13]La Mer des epees(Sea of Swords)(2001).French.ebook.AlexandriZ_split_032.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-13]La Mer des epees(Sea of Swords)(2001).French.ebook.AlexandriZ_split_033.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-13]La Mer des epees(Sea of Swords)(2001).French.ebook.AlexandriZ_split_034.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-13]La Mer des epees(Sea of Swords)(2001).French.ebook.AlexandriZ_split_035.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-13]La Mer des epees(Sea of Swords)(2001).French.ebook.AlexandriZ_split_036.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-13]La Mer des epees(Sea of Swords)(2001).French.ebook.AlexandriZ_split_037.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-13]La Mer des epees(Sea of Swords)(2001).French.ebook.AlexandriZ_split_038.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-13]La Mer des epees(Sea of Swords)(2001).French.ebook.AlexandriZ_split_039.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-13]La Mer des epees(Sea of Swords)(2001).French.ebook.AlexandriZ_split_040.html
Salvatore,R.A.-[Legende de Drizzt-13]La Mer des epees(Sea of Swords)(2001).French.ebook.AlexandriZ_split_041.html